L'étoile a pleuré rose au coeur de tes oreilles

Messages : 206 Date d'inscription : 27/06/2010

L'étoile a pleuré rose au cœur de tes oreilles,
L'infini roulé blanc de ta nuque à tes reins
La mer a perlé rousse à tes mammes vermeilles
Et l'Homme saigné noir à ton flanc souverain.

*Rimbaud. Une merveille. Je ne peux pas m'empêcher de penser à ma mère en lisant ça. À cette soirée où on lui a enlevé son mari, sa dignité, sa vie. Où l'on m'a arraché de mon enfance, dépecé, vidé, souillé par ce contact humain, cette nature qui m'avait été jusqu'à présent épargnée. Je ne peux m'empêcher de pleurer. J'en ai besoin pour avancer. J'ai besoin de savoir que je suis plus humain qu'eux, que je souffre toujours. Pourquoi aurait-elle eu à souffrir plus que moi ? Elle n'avait pas à avoir aussi mal. Et être heureux me renvoie ce mal en pleine gueule, à chaque fois que je laisse ce souvenir un peu trop loin sur ma conscience.

La douleur lancinante de mes démons intérieurs est une voie. Je la suis pour ne pas me perdre. Je ne me rappelle pas d'Avant, pas comme autrement qu'un rêve. Je ne connais que la souffrance. Je crois que j'ai peur d'être heureux au fond. C'est pour ça que je viens me recueillir dans ces ruines à l'occasion, mon livre de Rimbaud à la main, cette antiquité qui était si précieuse aux yeux de ma mère; l'un des seuls vestiges de mon ancienne vie. La chute me fait peur. Apprendre à être heureux alors que la guerre est toujours proche serait la meilleure façon de me voir sombrer lorsqu'elle éclatera à nouveau. Je ne peux pas me mettre à nu comme ça en temps instable, j'ai besoin de temps.

J'ai besoin d'aimer. Il me manque ce temps où je n'avais que lui à qui penser. La souffrance d'aimer est une souffrance à apprivoiser. Elle est paisible par moment, violente à d'autres mais surtout remplie d'un espoir que je n'ai plus. Je veux pouvoir fermer les yeux à nouveau, me laisser bercer par cette naïveté, vivre et comprendre la plus belle beauté du monde: l'Amour. Je veux tomber amoureux. Peu importe le sexe; c'est d'un être humain que je veux tomber amoureux, qu'est-ce qui importe à part cela ? J'ai fais une croix sur Alex. Je suis prêt à passer à autre chose désormais. Ma formation avec Myla m'aura ouvert sur bien des choses il faut dire.

Des pas, une foulée régulière, légère. Celle d'une fille, je dirais de mon âge. Arrivant dans ma direction.*

Messages : 152 Date d'inscription : 27/06/2010

*Il fallait s'y attendre. Le jour où l'on aurait envie d'un instant seul avec soi-même, loin dans un passé amer qu'on partageait avec toute une cité de gens orphelins, on aurait nécessairement à le croiser lui. Toujours là avant tous. Evans, un livre à la main, des larmes sèches et des larmes mouillées sur les joue, l'air hagard et profondément triste.

Je soupirais, j'idée de l'ignorer, d'aller directement à l'endroit où je prévoyais me rendre, sans porter attention à lui me traversait l'esprit. Je la chassais d'un clignement de paupières. Qui aurais-je été pour le laisser comme ça. Il m'avait vu, je l'avais vu. Et même si notre cohabitation tout à fait hypocrite était commune, ça aurait été lâche de partir. Je prenais une grande respiration et m'approchais.*

-Tu es tôt, il me semble, Evans.

*Quoi dire ? Quoi faire ? Rien. Rien. Je restais debout, distante. Là, simplement par politesse, en ayant même du mal à garder mon regard sur lui de façon soutenue.*

Messages : 206 Date d'inscription : 27/06/2010

*Laurea. Je reconnus par son timbre de voix délicat. Une fille réservée mais au fond, pleine de charme. Ces yeux en disaient long sur la guerre. Une bouée pour certains, je n'en doutais pas.*

-Possible.. Euh, tu veux t'asseoir ?

*Un malaise qui avait un nom, naturellement. Nous étions parfaitement conscient de l'amour que l'autre avait éprouvé pour Alex. Il eut un temps où nous nous étions même livré bataille pour ce dernier. Malgré ce temps résolu, il nous semblait impossible de voir l'autre comme un ami proche. Pas pour le moment, du moins. *

Messages : 152 Date d'inscription : 27/06/2010

*Je levais un sourcil. Je l'interrompait en pleine lecture, en pleine séance de remémoration pour moi-même me rendre là où les souvenirs m'étaient plutôt douloureux, et tout bonnement on allait s'asseoir et discuter ? Il y avait un froid. Un froid évident et dont on était tous les deux tout particulièrement conscients. C'était vain d'essayer. On le faisait quand même.*

-Pourquoi pas.

*Il y avait derrière moi le squelette d'une colonne de bois qui avait brulée et dont le vent avait dispersée les cendres. Il n'en restait plus que la souche noircie et irrégulière que je tirais vers moi pour y prendre place faisant face au mur de pierre à moitié effondrer sur lequel Evans était appuyé. Après un long silence mal à l'aise, je finie par réouvrir la bouche*

-Qu'est-ce que tu lis ?

*Un jour peut-être, aurions-nous quelque chose de pertinent à nous dire...*

Messages : 206 Date d'inscription : 27/06/2010

- Rimbaud.

*J'eus envie de lui tendre le livre pour qu'elle en fasse connaissance mais me ravisa. Une force secrète le gardait entre mes mains; je sentais que c'était mieux ainsi. Je commençai alors à le feuilleter brièvement, cherchant sans vraiment chercher mes poèmes fétiches. Les étrennes des orphelins en trois actes, une tendresse maternelle qui me chavirait particulièrement; Ophélie en deux actes, toujours, tragique; Sensation, un bonbon, une douce envie de vivre...*

-Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.

Assise sur ma grande chaise,
Mi-nue, elle joignait les mains.
Sur le plancher frissonnaient d'aise
Ses petits pieds si fins, si fins.

- Je regardai, couleur de cire,
Un petit rayon buissonnier
Papillonner dans son sourire
Et sur son sein, - mouche au rosier.

- Je baisai ses fines chevilles.
Elle eut un doux rire brutal
Qui s'égrenait en claires trilles,
Un joli rire de cristal.

Les petits pieds sous la chemise
Se sauvèrent : " Veux-tu finir ! "
- La première audace permise,
Le rire feignait de punir !

- Pauvrets palpitants sous ma lèvre,
Je baisai doucement ses yeux :
- Elle jeta sa tête mièvre
En arrière : " Oh ! c'est encor mieux !...

Monsieur, j'ai deux mots à te dire... "
- Je lui jetai le reste au sein
Dans un baiser, qui la fit rire
D'un bon rire qui voulait bien...

- Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.

*Je lui récitai sans pudeur, une douceur miellée à la gorge, religieusement. J'en frissonnais tant j'étais concentré. Paisible.*

Messages : 152 Date d'inscription : 27/06/2010

*Rimbaud. Oui. Ça me disait quelque chose. Le nom. Le ton. Le livre aussi. Un poète, c'était sûr, un vieux, clairement, très vieux même. Mais j'essayais de mettre le doigt sur un souvenir, sur un texte que j'aurais peut-être mémoriser... Je n'y arrivais pas. Depuis toujours j'avais eu une grande attirance pour les mots, pour la poésie ou l'écriture de plaisance, mais le plus souvent, je faisait moi-même mes textes. Je n'avais pas lu beaucoup de poètes, mais celui-là, il me disais quelque chose.

Evans ouvrit son recueil. Chercha une page. Récita.

Deux vers et j'étais fixée. Il avait l'air trop concentré pour le remarqué mais, je fredonnais, chuchotait chaque fin de strophe. Première soirée. L'intégrité, je ne la savais plus, mais, oui, je l'avais déjà mémoriser un jour lointain. Ça me revenait maintenant. Je n'avais pas toujours détester lire en fait.. *

-Oui. Je connais, je crois. Je lisais ça avant d'aller à l'orphelinat. C'était sympa.

*Eh bien. Mon première point commun avec Monsieur depuis presque cinq ans. Enfin, mon deuxième disons...*

Messages : 206 Date d'inscription : 27/06/2010

*Beauté délicieuse. Je savourai le poème jusqu'à son dernier vers. En rouvrant les yeux -prenant ainsi conscience que je les avais fermés-, je vis une Laurea à demi-plongée dans ses souvenirs, cherchant au plus loin de sa mémoire les petits morceaux qui avaient été ébranlés par ma lecture. C'était attendrissant; ses grands yeux me parlaient bien plus que ses lèvres au fond.

L'Orphelinat. Un endroit empli de mystère m'étant parfaitement inconnu. Ce n'était pas un sujet tabou à la Cité mais comme personne n'en parlait de gaité de coeur, cela faisait comme si. Je ne posais jamais de questions d'ailleurs, ayant appris à respecter leur silence. Les horreurs étaient scellées; les gens faisaient semblant d'oublier. Système de protection humain.

Je me remis à survoler les pages de mon recueil. Une fin de strophe me revint en tête. Je fermai le livre, fermai les yeux. J'ouvris mon âme.*

-Ô malheur ! je me sens frémir, la vieille terre,
Sur moi de plus en plus à vous ! la terre fond,

Ce n'est rien ! j'y suis ! j'y suis toujours.

*Les paroles venaient difficilement, non pas de mémoire mais par effort. Je coupai doucement les mots, tranchant les plus fort, me vidant comme une poche d'air, crevé comme un ballon. Dépouillé de mes démons à coup de vers. Délicatesse, précision; je me tus.*

Messages : 152 Date d'inscription : 27/06/2010

*Les paroles d'Evans, plus elles coulaient, plus elles s'enfonçaient dans mon crâne. Je ne saisissais pas tout. Pas sans le texte sous les yeux. Mais je me laissais quelque peut bercer par les vers qu'il nous récitait, qu'il se récitait, yeux mis clos, comme enfermé dans sa tête. Les mots passaient puis ressortaient, sans que je m'attarde sur aucun d'eux. L'émotion seulement me marquait. Celle dans le texte. Celle dans la voix d'Evans.

Que faire ? Que faire, à encore se demander que faire ? Assise face à lui, son livre à la main, plongé dans son monde intérieur que je devinais coupant et froid, qu'est-ce que moi j'étais sensée faire ? À part écouter, bouche entre-ouverte, à ce demander si luiparler était une bonne idée, ou si le laisser se renfermé dans son univers de mots était mieux.

Perplexe, j'optais pour ne pas le déranger. Polie et silencieuse, je l'écoutais.*

Messages : 206 Date d'inscription : 27/06/2010

*Les mots continuaient de me marteler le crâne. Lèvres suspendus, regard figé; 'Qu'est-ce pour nous, mon coeur...' s'évanouit, flambé dans les méandres de mon être. Rangé. Une douleur vertigineuse me prit alors que je sentais mon coeur se serrer. Ce sentiment d'impuissance qui gagnait en force, cette profonde peur fasse à la grandeur et l'éternité, cette incompréhension de l'infini, de l'âme humaine. Je me perds, aspiré, torturé, las de chercher. Je me laisse flotter un moment dans cette marre, vidé. Exténué.

Mes paupières pèsent lourdes de vie. Ce simple fait m'angoisse. Parce que je sais qu'elles ne seront jamais plus légères qu'elles ne le sont.

Je déposai ma tête au creux de mes mains et pleurai.*

Messages : 152 Date d'inscription : 27/06/2010

*Assise. Immobile. Balancée par les fins bout des doigts du vent du matin, lui-même endormi. Ballottée par sursaut, brassée par la souche brûlée ou j'étais assise. Immobile. Fixe, mais agitée. Bercée par des mots, par une symphonie sourde, anémiée, qui se tut.

Yeux clos, je l'entendis pleurer.

Je relevais la tête, ouvrait les yeux, et aussitôt, j'eu envie de partir. De courir. De fuir. Quelle idée. Alors que mon esprit se partageait en deux, mon instinct m'approchait de lui d'un pas. Un frottement de genou contre la terre poussiéreuse. À peine un pied de moins de distance, un kilomètre de plus d'effort à donner. Je respirais à peine. Je tendais ma main. J'effleurais sa cheville.

Prononcer son nom fut ma première pensée. Son prénom me vint ensuite comme une bonne idée. Je repoussais les deux, et ouvrait simplement grand mes yeux, en attendant qu'il se décide peut-être les regarder. Les voir.*

Messages : 206 Date d'inscription : 27/06/2010

*La tête me bourdonnait, j'avais oublié jusqu'à qui j'étais; et à ce moment, cela n'avait même pas d'importance. J'aurais pu être réconforté par la noirceur que créait mes mains contre mes paupières closes, mais le vent caressait toujours ma peau d'une caresse livide, froide; je sentais encore le sol si absurde par l'infini qu'il représentait -qui savait réellement où il s'arrêtait?- et le mur de pierre contre mon dos, comme souillé de litres de sang, non d'Athiens, d'enfants, de Babylonois, d'hommes ou de femmes, mais d'humains inhumains, de centaines de corps à présent froids et mutilés. Cascade de corps. Horreur.

Son contact me fit frissonner. Il me ramena à moi subitement, comme gravité a raison d'un corps. J'étais d'apesanteur; voilà la première chute que j'accueille avec soulagement. Mais sitôt effleuré que je doutai l'avoir imaginer. La présence de Laurea m'apparut alors comme une nécessité. Elle était un aura de compréhension, elle était le seul être vivant doté d'intelligence ici à part moi. La seule qui pourrait comprendre. Je redressai la tête pour la regarder droit dans les yeux. Soulagement de la voir; Il aurait pu me l'enlever alors que j'avais toujours la tête dans ce nuage. Cet orage.

Je la prie dans mes bras, me nichai dans son cou, tremblant comme une feuille morte. Je la pressai doucement contre mon coeur. Sentir de la chaleur humaine, une odeur, son odeur; un corps de chair et d'os, de la douceur en ses vêtements, en sa peau... je me calmai rapidement. Vint une honte cuisante, lancinante. J'eus envie de vomir. N'osant plus bouger, je restai ainsi un moment sans desserrer mon étreinte. Cette étreinte angoissée, fragile, désespérée. Cette étreinte de vie.*

Messages : 152 Date d'inscription : 27/06/2010

*Ma main était toujours posée sur sa cheville, mon regard sur ses mains grandes ouvertes où il avait enfoui son visage pleurant, mais mon esprit était ailleurs. Il voguait loin de ces ruines où nous étions assis, ou bien si proche que j'en perdais la notion. Tentant de percer l'esprit d'Evans, tentant d'entrer dans sa tête, de le comprendre lui, et ses agissement. Tentant de saisir la raison de ses pleurs. Vainement.

Quand ses mains touchèrent ma peau, je redescendais sur terre, à moitié. Quand ses bras s'emparaient de mon corps, mon sursaut fut brutal, et la réalité me revint d'un coup. Il me serrait si fort, sa tête dans mon cou, toujours en pleurs. Je ne comprenais rien. Et à défaut de savoir quoi faire, je déposais simplement mes bras autour de ses épaules d'un geste maladroit. J'hésitais à serrer, à lui rendre son étreinte désespérée...

Puis soudain, il se tu. Se calma. Et alors il se pétrifia. Et le malaise s'intensifia encore. L'espace d'un instant, j'eu l'impression, la conviction, que tous deux nous n'avions qu'un seul et unique désir : Disparaître, et oublier.

Je soupirais lentement et, hésitante, me décollais délicatement de lui. Je cherchais son regard, mais vite, j'abandonna l'idée : le fixer dans les yeux n'aiderait en rien. Alors, bornée, je détournais la tête et avançait une énième phrase sans vie.*

-Ça ira ?

Messages : 206 Date d'inscription : 27/06/2010

*Elle recula doucement; je la perdis à petit feu, retenant ma respiration. Je sentais son regard brûlant ma peau et l'idée qu'elle m'observe m'était alors insupportable. Je pris sa main impulsivement, ma tête toujours à quelques centimètres de son cou. Son parfum était toujours là, me rassurait encore. Je n'arrivais pas à relever la tête, à affronter son regard. C'était comme si je la souillerais par ce geste. J'avais peut-être un peu peur de me voir dans ses yeux, aussi.*

- Ne pars pas. Tu...

*Je fermai les yeux, ravalant un sanglot. C'était dur de s'avouer autant vaincu. Seul, il est toujours possible de nier. Mais de savoir qu'une autre personne nous voit ainsi, c'est de ne plus pouvoir rien y changer. On ne peut plus se mentir notre propre malheur; on en devient alors prisonnier. De nouvelles chaînes, une nouvelle angoisse. Sa petite main dans la mienne me soufflait tellement de belles choses, je ne comprenais pas ce qui me prenait. Quelque chose de fort, trop fort pour pouvoir y mettre mot; ça me prenait au coeur, au ventre, dans la gorge, et Dieu sait à quel point cela voulait sortir et que si je ne le faisais pas bientôt, j'allais simplement exploser. Ou me tuer.*

-Tu es ce qui se rapproche le plus de ce que j'ai de besoin en moment et j'avais jamais remarqué à quel point ta beauté était vraie.

*De l'amour? Une attirance? Pas du tout. C'était plus détaché, plus délicat. J'eus peur qu'elle s'y méprenne, mais je n'osai rien ajouter, ne sachant pas trop ce que j'aurais bien pu dire pour clarifier. Car il n'y avait rien de clair à ce moment.*

» Rose